Commissaire-priseur, Harold Hessel a imposé sa marque du côté de la rue Drouot où, sous les lambris du célèbre hôtel éponyme, on vend les plus précieux des trésors. Un monde de velours et de vieilles traditions où il s’agit d’évoluer d’abord à la manière d’un personnage de grand roman d’hier, avec élégance, mais jamais sans trop en faire. Un art qu’Harold Hessel maîtrise toujours en costume, et toujours en bleu marine. Quand il n’est pas occupé à faire son métier sous les projecteurs de l’émission Affaire Conclue sur France 2, ce qui lui vaut de s’adonner à quelques excentricités qui, en fin de compte, lui siéent plutôt bien.
Quelle place le vêtement occupe-t-il dans votre vie de commissaire-priseur ?
Les vêtements sont importants, parce qu'il est toujours bon d’être à l’aise dans la vie. Et avoir du style n’est pas quelque chose de rédhibitoire. Pour autant, je ne suis pas un fan de mode à part entière. Ce qui m’intéresse, moi, plus que les habits, ce sont les objets. C’est sur ça que se concentre toute mon attention, les tableaux, les meubles. Le métier du commissaire-priseur consiste à mettre en scène l’objet qu’il s’agit de vendre. C’est l’objet qui doit être au centre de l’attention des choses, pas le commissaire-priseur. Il faut donc savoir rester discret, ne pas arborer de tenues trop voyantes. Il faut être moins élégant que l’objet, en quelque sorte. De ce point de vue, je conçois plutôt les vêtements comme une sorte d’uniforme. J’aime les costumes bleu marine, moi.
Cet uniforme-là dit-il quelque chose de votre caractère ?
Je viens d’une famille d’origine allemande, et certains de mes ancêtres étaient pasteurs. Des luthériens. Inconsciemment, je pense que j’ai des réminiscences luthériennes. Le bleu-marine est une couleur discrète, qui dit quelque chose d’une certaine droiture, et même d’une rigueur. Cela correspond bien à qui je suis, à mon caractère. En y réfléchissant, je manque un peu d’audace. Je n’ai jamais eu la curiosité d’acheter du rouge ou du jaune moutarde pour mon vestiaire. Mon excentricité, elle est dans mes objets. J’ai chez moi des aquarelles complètement folles d’un arrière-grand oncle élève du grand peintre Girodet. Des images à la limite de la bande-dessinée de science fiction datant de 1810, avec des dragons, des sorcière et des chauves-souris.
Quel rôle le costume joue-t-il dans le milieu de la vente aux enchères ?
L’Hôtel Drouot, à Paris, constitue un monde classique voire très conservateur. On y vit encore comme au 19ème siècle, un peu à la Balzac. Le costume strict y a toujours été de rigueur. C’est un code qui ne se dit pas. C’est comme ça. Lorsque j’ai commencé à travailler en tant que clerc de commissaire-priseur dans une petite étude parisienne, j’ai acheté une série de costumes avec des nuances très légères de bleu marine et de gris. Et puis je ne mettais que des chaussures de ville. C’est ce que l’on attendait de moi. Cela allait très bien avec cette étude, où tout le mobilier était en acajou, où tout était très feutré.
Ceux qui remportent les plus beaux lots sont ceux qui restent discrets, qui sont toujours dans le fond de la salle, là où on ne les remarque pas. Il y a là comme une forme de bluff.
Mais il y a des exceptions ! Le célèbre commissaire-priseur Pierre Cornette de Saint-Cyr, par exemple, aime arborer des pantalons de couleur. Une couleur par jour de la semaine. C’est l’un des premiers à avoir fait ça et, au début, ce fût vécu comme une terrible transgression. Je pense aussi que nos homologues anglo-saxons ont une supériorité vestimentaire par rapport à nous autres Français. Ils ont un souci de l’élégance un peu plus marqué. Mais ce n’est pas de l’esbroufe. Cela se retrouve dans le choix des coupes, des matières. J’ai une vraie admiration pour mes confrères londoniens.
Existe-t-il dans les salles de vente des gens dont on ne soupçonne pas la force d’enchère parce qu’ils n’ont pas d’air particulier ?
En salle, lorsque l’on veut un objet, on n’a pas envie de se faire voir. Ceux qui remportent les plus beaux lots sont ceux qui restent discrets, qui sont toujours dans le fond de la salle, là où on ne les remarque pas. Il y a là comme une forme de bluff. Ces gens-là veulent tout faire pour ne pas exciter leurs concurrents dans la salle. Si on se fait repérer, on attire la jalousie, on attise l’envie des autres, on prend le risque que quelqu’un d’autre surenchérisse parce qu’il se dit qu’il y a là une bonne affaire, alors qu’il ne sait du tout de quoi il s’agit. Dans une salle des ventes, tout le monde est à l’affût de la bonne affaire, et tout le monde est à l’affût de l’autre. Aujourd’hui, les grands collectionneurs ou bien les galeries les plus reconnues préfèrent envoyer des agents à leur place pour enchérir. Ces gens-là, on ne sait pas forcément qui ils sont. Drouot est un monde où l’on aime l’anonymat.
Le vêtement est-il un élément pour lequel on enchérit beaucoup à Drouot ?
Jusque dans les années 1990, le vêtement n’était pas vraiment considéré par le monde de la vente aux enchères. Cela n’intéressait pas les gens. Et puis dans les grandes familles, on jetait, ou bien on donnait aux gens de maison, les beaux vêtements anciens reçus en héritage. On n’avait pas conscience de leur valeur patrimoniale. Cela a changé. Comme beaucoup d’autres choses, on s’est aperçu que le vieux linge pouvait valoir de l’argent et même encore plus que le neuf. Il y a donc de plus en plus de vente de mode à Drouot. Il y a un véritable engouement pour les choses vintage, comme les garde-robes des années 90 ou 80. Non pas pour les porter, bien sûr, mais pour les exposer.
Il y a une part de rêve là-dedans. Un vêtement, c’est une histoire, un univers.
Il y a trois ans, j’ai ainsi fait vendre, dans le cadre d’une succession, un ensemble de vêtements de sport en maille fait par Hermès, pour jouer au tennis ou aller à la plage. Les pièces ont été estimées grâce à l’aide d’experts de mode, comme on peut faire appel à un expert en philatélie ou en art d’Extrême-Orient. Ce n’était pas facile à estimer, justement, parce que l’on ne voit pas ça souvent sur le marché. La mode du 20ème siècle ne dispose pas vraiment de points de référence. C’est est bien plus difficile à estimer qu’une vieille robe ou une ombrelle du 19ème siècle trouvée dans un grenier, des pièces que l’on trouve plus fréquemment. Le prix de départ de ces vêtements Hermès a fini par être fixé à 500 euros environ pour chacun d’entre eux, comme une sorte de côte mal taillée, et ils ont été vendus en salle à 5000 euros. Ce sont des musées qui se sont principalement portés acquéreurs.
Organiser une vente de vêtements coûte cher. Il faut faire une sélection particulière, qui tienne compte de la provenance, des marques. On ne peut pas vendre de la fripe. Aujourd’hui, il y a un vrai engouement pour les pièces portées par les personnalités. Quand on sait que l’on vend quelque chose de Joséphine Baker ou Mistinguette, cela provoque un émerveillement certain, et peu importe si le vêtement bouloche. Il y a une part de rêve là-dedans. Un vêtement, c’est une histoire, un univers.
Pour finir, peut-on dire que c’est sur le plateaux d’Affaire Conclue que votre allure s’est, disons, détendue ?
Tout à fait. Il faut savoir s’adapter à son public. Il m’arrive, par exemple, de me déguiser en fonction des objets à vendre : je peux ainsi me retrouver à porter un costume de Storm Trooper ou bien celui d’un torero. Cela me fait rire. Pour notre émission de Noël, je porte aussi chaque année ce que l’on appelle un pull de Noël, avec des motifs toujours plus absurdes les uns que les autres. C’est mon pas de côté. C’est une idée de notre producteur. J’étais très réticent au départ. Je n’ai jamais trouvé ça beau un pull de Noël, ce n’était pas du tout mon style. Et puis j’y ai pris goût, et je crois que les téléspectateurs aussi. Plus le pull est moche, plus cela me rend sympathique, je crois. J’en ai quand même porté un avec des loupiotes clignotantes autour d’un sapin de Noël brodé.