Michael Hirsch, quelques épis fous sur la tête et le regard rieur d’un page, est comédien. À 33 ans, il compte à son actif deux numéro de « seul en scène » présentés de Paris au très réputé Festival d’Avignon, ainsi qu’une pelletée de rôles dans des pièces écrites par d’autres. Michaël Hirsch joue des personnages qui ont de l’esprit et savent s’habiller, surtout quand il s’agit d’être élégant en intérieur, comme le fameux Isidore Beaupieu, superstar du déjà très applaudi Je pionce donc je suis. Alors qu’il passe son confinement à lire, en direct pour le public de ses réseaux sociaux, des livres entiers comme le très fort Magellan de Stefan Zweig, Michaël Hirsch nous a raconté au téléphone ce qu’il aime dans le vêtement. Au terme de cette lecture, vous enfilerez peut-être une robe de chambre (ne cherchez pas, nous n'en proposons pas !). C’est de saison.
De quelle manière, les vêtements se révèlent-ils être des éléments stratégiques lorsque l’on s’affiche sur scène ?
Du temps où j’étais en école de théâtre, on me parlait beaucoup du fameux Robert Hirsch. C’était un danseur et un comédien. La première chose qu’il faisait avant de commencer à travailler un rôle, c’était de trouver les choses qui iraient le mieux au rôle, justement. Robert Hirsch estimait que la manière avec laquelle on ressent le sol guide absolument tout dans l’approche d’un personnage. C’est ce que l’on nous racontait à l’école de théâtre et, à l’époque, cela m’avait beaucoup marqué. Cette histoire a créé un écho en moi, et c’est toujours le cas aujourd’hui.
Quand je porte des baskets sur scène, je me sens différent, je ne suis pas le même que lorsque je mets des chaussures de ville. La sensation que j’ai de moi-même est différente. Les chaussures sont un révélateur de mes personnages. Plus généralement, les vêtements sont comme la peau de mon personnage. De fait, c’est stratégique et même mieux, c’est là un élément essentiel pour mon approche du jeu. Et puis c’est aussi ma manière de me présenter au monde. Je sais que dans le regard des spectateurs, c’est important pour ce que ça leur dit d’un personnage par rapport à un autre.
Dans votre dernier spectacle, Je pionce donc je suis, présenté au Lucernaire, à Paris, vous jouez vingt-deux personnages à la fois et vous ne changez quasiment jamais de costume. Comment avez-vous pensé cet aspect-là de votre travail ?
L’idée était de trouver un costume qui me permette de jouer tous ces personnages en un, comme un caméléon. Il a donc fallu trouver quelque chose d’assez neutre. Cela a été l’un des points les plus difficiles au moment de la mise en scène du spectacle. Je devais avoir un vêtement qui fasse pyjama. Avec ma costumière, nous avons donc choisi un t-shirt simple et un chino fait dans une matière souple, tout en gris, avec des chaussures légères pouvant faire penser à des pantoufles.
(...) les vêtements sont comme la peau de mon personnage. De fait, c’est stratégique et même mieux, c’est là un élément essentiel pour mon approche du jeu. Et puis c’est aussi ma manière de me présenter au monde.
Le problème, c’est que je n’avais absolument pas mesuré à quel point ce serait intense de jouer ce spectacle. À la fin de la première, je me suis retrouvé en nage. En nage et en gris. Disons que cela se voyait. Il y avait des traces de transpiration partout sur mon costume. Il fallait absolument trouver une autre tenue avant de jouer la deuxième représentation. On a donc basculé sur une panoplie noire, dont la veste et le pantalon sont faits sur mesure pour qu’ils me tiennent parfaitement au corps sur scène.
Bon nombre d’humoristes se présentent devant leur public en veste et en tee-shirt, comme si ce combo était devenu la panoplie réglementaire du métier…
Pour les gens du stand-up, il faut une sorte de costume de tous les jours, et même un vêtement de tous les jours. C’est une esthétique qui doit faire croire que c’est quelque chose d’habituel, d’inné, comme si on débarquait sur scène naturellement, depuis le bar d’à côté, et que ça suffisait. Comme s’il n’y avait pas de différence entre la ville et la scène. Beaucoup d’humoristes portent une veste et un t-shirt, pour dire au public qu’ils ont fait un effort, mais en même temps qu’ils sont cools, détendus. C’est comme ça que j’étais habillé pour mon premier spectacle.
Dans Je pionce donc je suis, un spectacle qui fait l’éloge du sommeil et de la paresse, vous présentez la robe de chambre comme une « tenue d’apparat ». On peut être paresseux et élégant, selon vous ?
Mon personnage, Isidore Beaupieu incarne un peu ma vie d’avant. C’est un type qui bosse dans une grande boîte, qui se lève à l’aube tous les matins pour aller se faire martyriser par un patron très manipulateur, en prenant sur lui parce que la vie c’est comme ça et pas autrement, se dit-il. Et puis un jour, Isidore Beaupieu s’endort au beau milieu d’une réunion. Il abandonne.
À une époque où on a constamment l’impression de courir après le temps, j’ai l’impression que le sommeil, le repos, est comme un acte révolutionnaire. De ce fait, l’habit qui va avec est un élément qu’il ne faut pas prendre à la légère. La robe de chambre, c’est du sérieux. Je trouve que c’est un vêtement que l’on a trop souvent négligé, oublié, mais qui est vraiment chouette. Je pense à ce genre de robe d’intérieur que l’on a pu voir sur les épaules de types comme Sacha Gitry, par exemple. Avec une robe de chambre, on a l’impression d’être bien habillé même en pyjama. Ma robe de chambre idéale est en soie, avec un imprimé un peu vieillot, qui fait pensé au motif d’un foulard Hermès. Elle doit avoir un drapé qui dit que je suis un artiste de tout mon corps.
Vous arrive-t-il de vous déguiser de manière, disons, excentrique ?
Au Festival d’Avignon, il s’agit de tout faire pour que le public vienne voir nos spectacles. Moi, chaque année, je me fais faire un déguisement pour attirer l’attention des gens dans la rue. Une fois, je me suis baladé avec un grand point d’interrogation en polystyrène, scratché à un t-shirt, avec ma tête passant dans la courbure du machin. J’étais tout en bleu turquoise. Dans un cas comme celui-ci, il est évident que l’on met de côté tout ce qui est de l’ordre de l’ego.
À une époque où on a constamment l’impression de courir après le temps, j’ai l’impression que le sommeil, le repos, est comme un acte révolutionnaire.
Lors du dernier festival, pour la présentation de Je pionce donc je suis, j’étais en robe de chambre dans la rue avec un sac à dos en forme d’oreiller. C’était un oreiller avec deux bretelles, avec une ouverture pour y fourrer des choses. L’esthétique du branleur à nul autre pareil, un personnage de bande dessinée façon Gaston Lagaffe. Les gens ont halluciné comme on pourrait halluciner si on se réveillait après des années de coma et que l’on découvrait dans la rue tous ces gens en masque en train de faire la queue pour acheter des pâtes à cause d’un confinement.
Le Festival d’Avignon est l’évènement qui rassemble chaque année tout ce que le théâtre, et le monde de la scène en général, compte de gens en France. De quoi y trouver un tas de looks particuliers, non ?
Il ne faut pas oublier que le Festival d’Avignon est une foire. Avec son lot d’animaux de foire. Nous sommes tous des animaux de foire, à Avignon. Il y a donc l’étudiant en école d’art dramatique. Il s’appelle Boris et il a les cheveux longs. Il a lu Tchekhov toute l’année et est convaincu qu’Anya dans La Cerisaie est le personnage central de son œuvre toute entière. Il est vêtu de vêtements en velours, avec une écharpe pour protéger son appareil phonatoire. Non loin de Boris, on trouve les fameux joueurs de bolas, les gens du cirque qui, peu ou prou, correspondent à l’image que l’on peut se faire des intermittents du spectacle. La comparaison est assez simple : ce qui fait la différence entre l’intermittent du spectacle et le punk à chien, c’est le chien.
À Avignon, on trouve bien sûr des comédiens très sérieux. Des gens qui ne supportent pas, du moins pour leur âme d’artiste, le fait qu’il y ait trop de monde dans les rues de la ville pour le festival. Trop douloureux pour eux. Là, toutes les fantaisies vestimentaires sont imaginables. Un pull à col roulé malgré le mois d’août, par exemple. Et puis il y a les programmateurs de salles. On les remarque. Pour eux, parce que c’est l’été, c’est priorité au lin. Du lin partout. Il faut que ça baille. Des Birkenstock aux pieds et, souvent, un petit manque de déodorant, presque revendiqué. Les types, ils voient six spectacles par jour, ils n’ont pas envie de s’embêter. Ils marquent leur territoire.