Son teint hâlé de vieux loup de mer magnifique trahit une vie de vadrouille. Il y a longtemps, Greg Hessmann a vécu en Afrique du Sud où il a travaillé pour le compte de boîtes de production locales. À une autre époque, le Marseillais a tenu les rênes d’une marque de vêtements pour femmes présentée dans les tradeshows parisiens. Et puis il y a aussi toutes ces années où il organisait les meilleures fêtes de la ville, les fameuses Plaisir Collectif, quand il reprenait pour un soir des rades abandonnés pour y faire couler son vin et y passer sa musique. Greg Hessmann a fini par se faire tenancier à plein temps : il est aujourd’hui à la tête du bar La Relève et du café l’Abbaye, deux bonnes tables perchées sur les hauteurs du Vieux Port, où la bonne franquette est une élégance. C’est sur la terrasse du premier lieu cité, entre mille bises et mille poignées de main, qu'il détaille l’histoire de sa silhouette.
Comment ton éducation au style s’est-elle faite au départ ?
J’ai grandi en dehors de Marseille, à la campagne. Là-bas, on se fichait éperdument de la mode. Lorsque j’étais gamin, mes parents, qui étaient plutôt traditionnels dans leur genre, me forçaient à rentrer ma chemise dans mon pantalon. C’est à l’école que j’ai commencé à me forger une forme de culture du vêtement. Mon lycée se trouvait loin du centre-ville, et tout le monde n’en avait que pour le streetwear. Mais l’un de mes premiers chocs, c’est lorsque ma soeur m’a rapporté d’un voyage de Londres des Doc Martens surmontées de plaques en aluminium. Tout d’un coup, je me suis rendu compte que le style pouvait partir dans tous les sens, qu’il y avait d’autres mondes à explorer. Plus tard, je me suis mis à porter des manteaux en cuir, des bottes de motard et des vestes de couleurs pétards. Je traînais également beaucoup autour du célèbre bowl du Prado et, de manière naturelle, la mode skate m’a influencé : à une époque, je portais des t-shirts avec des flammes ou des têtes de mort et j’avais des chaussettes hautes sous mon short. Pour moi, c’était une une manière de m’exprimer. Mes fringues, c’était un style de vie.
Aujourd’hui, qu’est-ce qui compte le plus dans ta garde-robe ?
Parce que je suis un surfer dans l’âme, je suis souvent en t-shirt, ou en sweat à capuches, et lorsqu’il fait frais, j’enfile une veste par-dessus. Mais en même temps, je ne néglige pas les chemises. D’une certaine manière, je suis la tête d’affiche de mes restaurants. J’ai un métier de service, mais aussi de représentation. Il faut donc que je fasse attention un minimum à ma tenue. Mes chemises, je les porte près du corps. Cela correspond à ma silhouette. Sinon j’ai l’impression de ne pas ressembler à grand-chose. La coupe, c’est un critère fondamental pour choisir sa chemise. On voit trop de gens dans la rue qui flottent dans leurs chemises, ou bien qui les portent comme une deuxième peau beaucoup trop moulante. Il faut faire attention, quand même…
Ta passion pour le surf t’amène à voyager, en Asie du sud-est ou bien en Amérique centrale. Et à chaque fois tu ramènes des vêtements de ces endroits…
J’ai toujours l’impression que ce sont des pièces incroyables et lorsque je les porte à Marseille, je me fais “traquer” illico. Mes amis me vannent, ils me charrient, comme lorsque j’ai débarqué avec cette longue veste bleu ciel qui m’arrivait sous les genoux. À Marseille, on adore se moquer des dégaines qui ne sont pas habituelles. Mais moi, je tiens bon. En même temps, essayer de se démarquer, c’est aussi quelque chose de très marseillais. On est rebelle, nous. On n’a pas envie d’être comme les autres. Dans une soirée où tout le monde sera en chemise, on n’hésitera pas à venir en t-shirt pour le seul plaisir d’attirer l’attention.
« On est rebelle, nous. Dans une soirée où tout le monde sera en chemise, on n’hésitera pas à venir en t-shirt pour le seul plaisir d’attirer l’attention. »
Peux-tu faire une typologie des looks qui défilent derrière ton bar ?
C’est simple : on remarque tout de suite celui qui est parisien. C’est un type à la pointe des choses, dont l’ourlet a une couture et des proportions parfaites, avec des chaussures qui sont forcément celles qui ont été présentées tout récemment sur les sites en vogue. Le Marseillais, lui, fait moins attention à son style au quotidien. Il peut essayer quelque chose, mais pas tous les jours. Ce serait trop. Parmi mes clients marseillais, il y en a quand même avec de sacrées dégaines. Il y a les rockers venus du Cour Julien, avec leurs pantalons retroussés, leurs vestes en jean courtes, et leurs chaussures en cuir. Il y a aussi quelques vieux Marseillais issus de la classe populaire. Des vieux beaux gosses qui vivent près de la mer, et qui soignent leurs looks même s’ils n’ont pas trop de goût, avec un beau bronzage, les cheveux en arrière, le col de la chemise bien ouvert et une gourmette au poignet. Que l’on se rassure, ces types-là ne constituent pas une espèce en voie de disparition.
As-tu déjà envisagé de faire porter un uniforme aux personnes qui assurent ton service ?
Pendant un temps, j’ai imaginé que mes serveurs et mes serveuses soient reconnaissables, oui. Il n’était pas question de leur faire porter une chemise blanche et un pantalon noir, mais plutôt un polo de couleur et un tablier. Mais avec le succès des restaurants, j’ai très vite abandonné cette idée. J’ai envie que mes clients puissent imaginer que ceux qui les servent sont comme leurs amis. La Relève et L’Abbaye, ce sont des bars de copains.
Sauce ou café, te tâches-tu souvent pendant le travail ?
Je suis un grand professionnel : je ne me tâche jamais. Et si c’est le cas, cela peut éventuellement être un bon prétexte pour me mettre torse-nu devant les clients. Une chose, aussi : en cas de tâche, l’astuce du sel ne fonctionne pas. C’est un mythe, oubliez !